Avec l’arrêt de grande chambre Gómez del Moral Guasch c. Bankia, (aff. C-125/18), du 3 mars 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « la Cour) a été appelée à se prononcer, au titre de l’article 267 TFUE, sur l’interprétation de la directive 93/13 du Conseil concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.
Le litige au principal portait sur le caractère prétendument abusif d’une clause relative au taux d’intérêt variable et rémunératoire figurant dans le contrat de prêt hypothécaire que M. Gómez del Moral Guasch avait conclu avec Bankia SA. Dans le cadre de ce litige, le tribunal de première instance de Barcelone a introduit une demande de décision préjudicielle.
En premier lieu, la Cour de justice a affirmé que la clause d’un contrat de prêt hypothécaire conclue entre un consommateur et un professionnel, qui prévoit que le taux d’intérêt applicable au prêt est fondé sur l’un des indices de référence officiels prévus par le droit espagnol potentiellement applicables par les établissements de crédit hypothécaires (les caisses d’épargnes espagnoles), relève du champ d’application de l’article 1, paragraphe 2, de la directive 93/13. Néanmoins, une exclusion est établie si deux conditions sont remplies :« d’une part, la clause contractuelle doit refléter une disposition législative ou réglementaire et, d’autre part, cette disposition doit être impérative.
En deuxième lieu, la Cour de justice s’est prononcée sur les pouvoirs du juge national, concernant l’interprétation de l’article 4, paragraphe 2, et l’article 8, de la directive au sujet du contrôle de la transparence d’une clause portant sur l’objet principal du contrat. La juridiction espagnole s’interrogeait sur la possibilité pour une juridiction nationale, même en l’absence d’une transposition de cette disposition de la directive dans le droit interne, de contrôler si une clause telle que la clause litigieuse satisfait à l’exigence de transparence édictée par la directive. A cet égard, la Cour de justice a souligné que les clauses contractuelles doivent toujours satisfaire à l’exigence de rédaction claire et compréhensible. Cette exigence s’applique également lorsqu’une clause relève du champ d’application de la disposition précitée et même si l’Etat membre concerné, en l’espèce l’Espagne, n’a pas transposé cette disposition dans son ordre juridique. Il s’ensuit qu’une juridiction d’un Etat membre est toujours tenue de contrôler le caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle portant sur l’objet principal du contrat.
En troisième lieu, la Cour de justice s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 4 , paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13 portant sur les conditions du respect de l’exigence de transparence d’une clause fixant un taux d’intérêt variable dans le cadre d’un contrat hypothécaire. En effet, une clause doit non seulement être intelligible sur les plans formel et grammatical, mais également permettre qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, soit mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret du mode de calcul de ce taux et d’évaluer ainsi, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur les obligations financières. La Cour précise en outre que constituent des éléments particulièrement pertinents à cet égard, d’une part, la circonstance que les éléments principaux relatifs au calcul du taux d’intérêt sont aisément accessibles à toute personne envisageant de contracter un prêt hypothécaire, en raison de la publication du mode de calcul dudit taux ainsi que, d’autre part, la fourniture d’informations sur l’évolution passée de l’indice sur la base duquel est calculé ce même taux.
Enfin, concernant les pouvoirs du juge national lors du constat de l’éventuel caractère abusif d’une clause contractuelle fixant un indice de référence pour le calcul des intérêts variables d’un prêt, au sens de la directive, la Cour de justice a considéré que la directive ne s’oppose pas à ce que le juge national supprime la clause abusive d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, en lui substituant une disposition de droit national à caractère supplétif dans des situations dans lesquelles l’invalidation d’une telle clause obligerait le juge national à annuler le contrat dans son ensemble, exposant ainsi le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables. En effet, une annulation du contrat risquerait d’engendrer des conséquences préjudiciables, comme par exemple de rendre immédiatement exigible le montant du prêt restant dû dans des proportions qui risquent d’excéder les capacités financières du consommateur. Ainsi, le consommateur serait davantage pénalisé que le prêteur.
En guise de conclusion, si une juridiction nationale conclut au caractère abusif d’une clause comme celle dans l’affaire au principal, elle peut, pour protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables susceptibles de résulter de la nullité du contrat de prêt, substituer à cet indice de taux un indice supplétif prévu par la législation nationale.
Jessica BELMONTE, Rôle de la Cour de justice et des juridictions nationales dans l’interprétation et l’application des contrats de prêts hypothécaires, actualité du CEJE n° 11/2020, disponible sur www.ceje.ch